Le reflet qu'elle contemple dans le miroir lui ressemble sans lui ressembler. C'est fou, tout ce qu'on peut faire avec du maquillage. Elle le savait déjà, pourtant, elle a l'impression de le redécouvrir. « Tu es talentueuse. » Glisse-t-elle à son amie qui a maquillé leur petit groupe pour s'entraîner. Devenir maquilleuse professionnelle, c'est son rêve. Alors Ryu-Jin et quelques amies jouent parfois volontiers les cobayes. Les autres acquiescent tandis que la politesse d'usage la fait baigner dans la modestie. Ses amies ont toutes un petit quelque chose de différent. Pour Ryu-Jin, qui se regarde encore dans la glace en cherchant comment elle a pu en arriver à un tel résultat, c'est un côté bien plus mature qu'en temps normal. Avant de sortir, tout ce qu'elle a besoin de faire est d’associer une tenue qui se joint à cet effet. Puisqu'il serait dommage de ne pas montrer au monde ces jolis visages maquillés, les filles décident de sortir. Maquillée ou pas, Ryu-Jin se serait volontiers contenté d'une soirée télé, mais elle se plie a la décision de la majorité et enfile une veste avant de les suivre.

Les bars, ce n'est pas tellement son truc. Mais le plus important pour elle n'est pas de savoir où elle est trouvée, mais plutôt avec qui. Et avec ses amies, elle passe une bonne soirée. Un bon début de soirée. Elle ne fera pas partie de celles et ceux qui montent sur scène pour étaler leurs talents, elle n’a pas besoin de se faire voir, de se faire reconnaitre. Certaines de ses amies, par contre, se prêtent au jeu et elle est bien entendue là pour les applaudir et les encourager. La soirée s’avance, l’aiguille de sa montre tourne et tourne encore, et peu à peu le petit groupe qu’elles étaient se réduit, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que deux. Puis, jusqu’à ce que sa dernière amie lui annonce qu’elle veut rentrer également. Elle propose à Ryu-Jin qu’elles repartent ensemble. Elle ne sait pas vraiment ce qu’il lui prend de refuser en disant qu’elle partirait après avoir terminé son verre. Peut-être qu’elle s’était dit qu’un peu de solitude lui ferait du bien. Mais la solitude, il n’y a rien de pire : on se retrouve seul face à ses pensées. Tout ce dont elle n’a pas besoin.

Son regard glisse sur la personne à côté d’elle, l’homme qui engage la conversation. « Si on veut. » Elle pourrait couper court à la conversation. Elle est même sur le point de le faire. Mais elle ne veut pas penser à quelqu’un qui ne doit pas hanter ses pensées. Alors, elle peut bien faire la conversation. Il n’y a rien de mal à ça, n’est-ce pas ? « Si vous vous étiez installé ici un peu plus tôt, vous auriez pu rencontrer mes amies. » Mais il n’aurait sans doute abordé personne. Il lui fait la conversation parce qu’elle est seule. Sans doute. Et elle lui fait la conversation parce qu’elle est seule, aussi. « Et vous ? » Elle ne s’attends à rien de particulier. Au mieux, le courant passera bien mais cela n’ira pas plus loin. Elle sera claire là-dessus s’il s’avance trop. « J’étais sur le point de partir, mais pourquoi pas ? » Elle demande au barman la même chose que ce qu’elle vient de terminer. « Ryu-Jin. » Se présente-t-elle. « Comment je dois vous appeler ? »

Il y a beaucoup de de scénarios qui tournent dans sa tête, à une vitesse tellement folle que cela pourrait la rendre malade -est-ce que ce sont les effets de l’alcool ? Elle pense -beaucoup- à Taehyun, à tous les scénarios possibles qui pourraient se jouer entre elle et lui, aux déclarations imaginaires que l’un et l’autre pourraient faire, à des relations naissances ou à des rejets plus ou moins doux. Et c’est toujours la même image qui vient mettre un terme au fil de ses pensées, celle du visage de son amie Yu-Na, la maknae du groupe. Toujours une seule (désespérante) certitude : Elle ne peut pas faire ça. Elle ne peut pas s’attacher plus que de raison, elle l’a pourtant fait, malgré elle. Elle n’a plus maintenant qu’à enfouir tout ça au plus profond d’elle-même. L’enterrer. Ne plus y penser. Avancer. Vivre sa vie autrement. Peut-être que c’est pour ça, dans le fond, qu’elle est restée. Qu’elle a voulu finir son verre avant de partir. Qu’elle accepte de converser avec un parfait inconnu alors qu’elle ne le ferait pas en temps normal.

Il est plus difficile d’aborder une personne lorsqu’elle n’est pas seule, c’est un fait et c’est ainsi qu’elle interprète (à tort, mais elle ne le réalise pas) les mots de l’inconnu installé à côté d’elle. Elle n’a pas l’habitude de ce genre de rencontres. Mais Ryu-Jin a le contact facile avec les autres, ce qui aide dans ce genre de circonstances. « Vous auriez trouvé de quoi faire, il y a foule, ce soir. » Elle se retient de dire que, pourtant, ce n’est pas la musique actuelle qui attirerait du monde. « Eh bien, merci, juste Jae. » Joignant le geste à la parole, elle soulève doucement le verre qu’il vient de lui offrir, en répondant à son sourire, avant d’en boire une gorgée. « Je pensais partir après avoir fini mon verre. » Elle désigne le verre, vide, qu’elle venait de terminer. « Vous êtes arrivé à ce moment-là, alors maintenant, j’ai un autre verre à finir, il faut croire. » Elle aurait pu continuer de sourire, mais elle grimace quand Jae lui demande si le type sur scène est son copain. « Si c’était le cas, je serai devenue sourde au fil du temps. » La boutade n’est pas très sympa, mais Ryu-Jin a l’oreille sensible, à force de n’être entourée que de gens de talents. Elle ne mentionne pas son célibat, parce que c’est plus amusant ainsi. Parce qu’elle veut voir s’il va tenter d’avoir l’information par un autre moyen. « Vous pouvez faire mieux ? » Défi seulement à moitié déguisé.

Elle ne relève pas l’éventualité qu’il n’aurait trouvé personne d’autre au milieu de la foule. Elle reste persuadée que si, mais quelle conversation stérile cela deviendrait s'ils commençaient à présager d’une réalité alternative inexistante. Les hypothèses d’un scénario qui ne se jouera jamais, elle laisse cela aux romans (qu’elle adore, ceci dit, lire, lorsqu’elle a un peu de temps libre qui le lui permet). Un deuxième verre, c’est déjà presque trop. Un troisième, ça aussi, c’est un scénario qu’elle ne voit pas se réaliser. Car elle connait ses limites, et aussi car elle ne peut pas se permettre de perdre le contrôle et de déraper. Elle frappe son verre dans celui de Jae sans s’en cacher. « Une limonade, ça compte ? » S’amuse-t-elle. Mieux vaut tourner cela en dérision plutôt que de refuser catégoriquement. Elle ne sait pas si c’est réellement plus poli, mais c’est en tout cas moins tranchant. « Est-ce que vous pensez qu’il se défoule, ou qu’il croit vraiment avoir du talent ? » La question est bien plus curieuse et sincère qu’elle n’est moqueuse. Elle ne cherche pas tant la critique. Après tout, chacun a le droit de décompresser comme il l’entend. Et le talent n’est jamais inné. Toutes les personnes talentueuses ont dû travailler dur pour en arriver où elles sont.

La perche tendue n’est pas attrapée. Tant pis, elle aurait bien aimé voir ce que Jae peut bien valoir sur scène. Une prochaine fois, peut-être ? Mais y aura-t-il seulement une prochaine fois, d’ailleurs ? « Invitez-la à venir sur scène la prochaine fois, alors. Vous la remplacerez si elle est trop malade pour venir. » Petit clin d’œil complice. Est-elle trop à l’aise avec les gens qu’elle ne connaît pas ? C’est qu’elle ne voudrait pas qu’il se fasse des idées. Surtout s’ils quittent l’endroit ensemble. « Sans arrière-pensée. » Souligne-t-elle dans cet état d’esprit. « Je suppose qu’un peu d’air frais ne peut pas nous faire de mal. » Elle ne sait pas s'il avait en tête un endroit en particulier, mais une simple promenade au calme ne pourrait être que bénéfique. Aussi bien pour faire redescendre l’alcool que pour sauver ses pauvres oreilles en détresse. Elle boit une nouvelle gorgée de son verre alors que l’animateur appelle une nouvelle personne pour monter sur scène. « Éclipsons nous avant le prochain massacre. » Propose-t-elle. Elle va, en réalité, même plus loin que la simple proposition puisqu’elle se lève pour initier le mouvement.

Elle profite de sa soirée bien plus qu'elle ne l'aurait cru, c'est une évidence. En dehors du fond sonore qui laisse à désirer, le fait de faire de nouvelles rencontres réjouit toujours Ryujin dont la sociabilité n'est plus à prouver. Refuser un verre et parler de soft a la place est une première façon de mettre comme de petites barrières dans la conversation. Est-ce que cela fonctionne ? Pas le moins du monde, mais ça, elle ne s’en rend pas réellement compte pour le moment. « Cette histoire va se terminer en diabolo grenadine. » Rit-elle. Pour elle, c’est la parfaite représentation de l’enfance. Elle se souvient de nombre de diabolos grenadine qu’elle a pu boire aux côtés de son père qui, lui, buvait de vrais verres. Ce sont de beaux souvenirs. Des souvenirs doux, innocents. Bien plus innocents que la scène qui se joue dans ce bar - et elle ne parle même pas du tueur d’ambiance et de sa voix mal accordée. Ce n’est pas le cas de son interlocuteur, cependant, qui est loin de vanter ses mérites. Ceci dit, s’il veut le critiquer, Ryujin a très envie d’entendre s’il est capable de faire mieux. Intérêt piqué. « Oh, vous savez, je suis capable de venir seulement pour vous voir vous ridiculiser sur cette scène ! » Elle désigne cette même scène sur laquelle se joue un véritable massacre en cet instant. Peut-être qu’elle se trompe. L’avantage, c’est qu’elle n’a pas peur d’assumer un contre défi : elle est tout à fait capable de monter montrer de quoi elle est capable. Ce soir, elle n’a juste pas envie. C’est tout.

La bouffée d’air frais donne l’impression de remettre les pieds sur terre, de vraiment quitter l’ambiance d’un autre monde et d’un autre temps. Comme si elle revenait à une réalité sur laquelle elle avait voulu fermer les yeux. Rien n’a changé, malheureusement. Ni ses sentiments, ni combien ils seraient mal venus. « Sous un pont ? » Le haussement de sourcils à la fois interrogateur et perplexe se lit aisément sur son visage. La rappeuse grimace. « Dégoutant. » Si un message sous-entendu était caché derrière cette étrange proposition, les choses sont un peu remises à leur place. « Je connais une supérette qui reste ouverte dans le coin. » Ainsi c’est elle qui prend l’ouverture de la marche jusqu’au commerce. « Vous voulez grignoter un truc ? » Comme il a proposé de lui offrir la limonade, Ryujin achète de quoi grignoter en toute innocence. Elle s’installe ensuite sur une table mise à disposition de la supérette, juste devant l’endroit. Etrangement, la proposition du parc, couplé à celui du pont, semble bien plus étrange et moins tentante qu’elle n’aurait du l’être. « Servez-vous ! » Lui dit-elle alors qu’il s’installe. L’ambiance est bien moins à la drague, et c’est totalement ce que la Itzy recherchait.